Vous êtes peut-être passés à côté de l’information, le gouvernement s’est fixé comme objectif de passer de 4% à 12% de part modale pour le vélo d’ici à 2030. Soit 3 fois plus de cyclistes en circulation d’ici 7 ans (environ 700000 cyclistes du quotidien actuellement)*. Pour y arriver il faut que la pratique du vélo – boulot – vélo (et boulot à vélo) accélère partout en France et non pas seulement dans les grandes agglomérations.
L’infrastructure permettant la circulation des vélos en toute sécurité est évidemment à la base du développement. Mais l’offre de service devra suivre le rythme, se diversifier et s’adapter dans tous les territoires. Un véritable système vélo doit être pensé et mis en place rapidement. A ce sujet, un tout petit paragraphe y est consacré parmi les 9 engagements pour un avenir durable des états généraux de la filière vélo réalisés en octobre 2022 “Soutenir l’offre d’entretien et de réparation des vélos et veiller à sa diffusion territoriale“
Actuellement, se mettre au vélo dans une grande ville est plutôt aisé alors même que l’offre de service n’est pas forcément la plus adaptée à la cyclo mobilité au quotidien, et je parle bien du quotidien, lundi compris… On y trouve beaucoup d’enseignes plus ou moins spécialisées, des ateliers de réparation, des associations et même quelques hubs dédiés à la cyclo-mobilité. L’écosystème est plutôt en place même si tout cela peut encore être largement amélioré.
Pour ce qui est des territoires ruraux, périurbains ou villes de taille moyenne ce n’est pas forcément la même affaire. Les magasins de cycles (souvent sportifs) ont tendance à s’expatrier vers l’extérieur de ville, dans des zones commerciales, en quête d’un local plus grand avec un loyer attractif. Véritable magasin de destination où l’on vient y acheter son vélo entre deux courses chez Kiabi. Le service est quant à lui réduit à peau de chagrin et complètement déconnecté du monde de demain. Se rendre dans ce type de magasin nécessite souvent de prendre sa voiture et l’offre dédiée à la mobilité est quant à elle quasi-inexistante, paradoxal quand on sait que le marché du VAE est dopé par la mobilité**. Alors, comment essayer de faire entendre à un gérant de magasin qui s’est battu de longues années pour ouvrir son grand magasin de destination en périphérie, que son avenir se trouve dans un ou plusieurs petits magasins de centres villes dédiés à la vente et aux services ? Pas évident. Alors même que cela serait dans son intérêt (pour des questions d’immobilisation de trésorerie notamment).
Le modèle actuel est-il le bon ?
Afin d’être un peu plus dans le concret, prenons quelques exemples. Une mère de famille, ayant comme moyen de transport un bi-porteur de 45kg vient de crever après avoir déposé ses enfants à l’école à 8h20 du matin. Impossible pour elle de rejoindre son lieu de travail. Qui va pouvoir rendre service à cette dame ? Grande agglomération ou pas, peu de magasins en seront capables.
Autre exemple, un infirmier libéral, ayant des convictions écologiques, et utilisant un vélo de trekking électrique pour passer d’un rendez-vous à l’autre, tombe en panne un lundi pendant un déplacement. Comment faire un lundi ? La plupart des magasins de cycles sont fermés. Tant pis, l’écologie attendra, il va reprendre sa voiture, il y a des dépanneurs le lundi si besoin.
Dernier exemple tout aussi concret. Quel magasin, tout territoire confondu, est aujourd’hui capable de suivre la durée de vie complète d’un vélo cargo utilisé par un professionnel dans le cadre de son activité ? Comprenant le conseil, la personnalisation, la livraison, la formation, l’entretien sur site, le rapatriement du vélo si besoin, le prêt éventuel d’un vélo. Dans cet exemple, nous ne sommes plus sur un moyen de transport, et encore moins sur un objet de loisir. Nous parlons d’un outil de travail dont le parfait entretien et le fonctionnement de celui-ci garantira la survie de l’entreprise.
Tant que le modèle actuel de la commercialisation du cycle ne sera pas capable de répondre positivement à ce type de problématique, c’est que la filière n’aura pas pris la mesure des enjeux qui nous attendent. Et au vu des dernières ouvertures de magasins en France, ce n’est pas gagné. Toujours plus grands, toujours plus beaux, toujours plus loin, toujours plus éloignés de la réalité.
Alors comment faire ?
Comment allier proximité, service, disponibilité, gestion de stock, rentabilité ? Pour y arriver nous devons complètement repenser le système. Oublier quarante années d’héritage du magasin de vélo sportif clairement inadapté à la mobilité de demain.
Commençons par réduire la taille des magasins afin qu’ils retrouvent leur place dans les villes de toute taille. Plus petit et plus proche du lieu de vie amène de la proximité. Cela implique une réduction significative du niveau de stock et octroie par la même occasion une certaine sécurité financière. Que se passe t’il quand un magasin de 1000m2 se retrouve surchargé de stock suite en envoi massif des vélos de la part des marques référencées ? C’est le crash assuré… Un magasin plus petit sera plus résilient face aux fluctuations du marché car il n’aura pas à assumer le stock des marques. Les fabricants de vélo ont, sur ce point, leur rôle à jouer. Ils doivent agir comme partenaires pas comme des bourreaux mettant la pression aux vélocistes pour qu’ils tiennent leur engagement annuel. Ce n’est plus au magasin à assumer le stock des marques. L’un comme l’autre doivent travailler main dans la main. Les fabricants de vélo ont besoin des magasins comme les magasins ont besoin des fabricants. C’est donc bien aux fabricants de tenir leur engagement. Avec la réduction de la taille et la baisse du niveau de stock vient la spécialisation. Le cycle est déjà une spécialité, il va falloir être ultra spécialisé. Il serait pour moi normal de voir apparaître dans cette nouvelle organisation, des magasins spécifiques cargo, pliant, vélo à assistance électrique, voyage, gamme professionnelle. Chaque magasin ayant sa propre offre et étant complémentaire de l’autre. Un seul petit magasin ne peut pas tout faire (c’est la raison pour laquelle ils externalisent des centres-villes pour ouvrir plus grand) mais plusieurs petits magasins ayant leur spécialité peuvent répondre aux mêmes besoins tout en gardant de la proximité.
Après la vente vient le service, j’entends par là l’atelier de réparation et tout ce qui va avec. Véritable centre névralgique du système vélo, il est selon moi, une véritable force, si l’on souhaite atteindre les objectifs de part modale. Les personnes qui sont convaincues par l’utilité du déplacement à vélo s’y sont déjà mis, les autres vont devoir être chouchoutés et rassurés. L’offre de services doit pouvoir répondre aux problématiques exposées plus haut lors des exemples de la vie de tous les jours. Selon moi, le service doit avoir sa propre identité, sa propre exposition. Il ne peut pas être juste greffé au magasin comme c’est actuellement le cas, non, le service doit être mis en avant, afficher clairement ses forces. Pour cela, il doit être physiquement séparé du point de vente afin de pouvoir répondre favorablement aux besoins d’entretiens et se concentrer à leurs tâches de service (d’autant plus avec l’arrivée imminente du Bonus Repar). Les horaires doivent être adaptés aux usages du vélo, aux heures de circulation afin de répondre efficacement aux habitudes des utilisateurs du quotidien. Pourquoi un magasin dédié au déplacement du quotidien devrait-il être ouvert uniquement du mardi au samedi ? Pour finir, une multitude de services doivent-être opérationnels : Réparation sur site, rapatriement de vélo, vélo de courtoisie. Rien de bien nouveau mais cela doit être généralisé. Je n’aime pas trop choisir l’automobile comme modèle de comparaison, mais sur ce point là, le cycle a tout à y apprendre. Complémentaire du point vente, l’atelier de réparation intégrant services et disponibilité adaptés est selon moi un atout majeur dans le développement des habitudes de déplacement.
Rendre accessible les vélos d’occasion.
A en croire la dernière levée de fonds de Upway, nouvelle pépite française créée en 2021, il semble que le marché de l’occasion soit le nouvel eldorado du marché du cycle. 20 millions de cycles en circulation en Europe selon Upway, cela fait tout autant de vélos “reconditionnables”. Au-delà de l’attrait financier potentiel du secteur ayant l’air de convaincre certains investisseurs, il est clair qu’il va être très important de donner une seconde vie à tous ces vélos. Seconde vie rendant la cyclo mobilité accessible aux personnes freinées par la valeur en constante élévation des vélos neufs. Alors deux options s’offrent à nous : soit nous laissons faire le réseau digital à la manière d’un Upway ou Loewi (valorisation du vélo en ligne, expédition de celui-ci pour reconditionnement et revente par le site); soit nous intégrons l’occasion dans notre cyclo-système fraichement créé. Le point de vente (de vélo neuf) peut par exemple reprendre un vélo d’occasion dans le cadre d’un achat d’un nouveau vélo, qu’il peut ensuite transférer à l’atelier pour remise en état. Une fois le vélo de nouveau opérationnel, celui-ci peut être dirigé au point de vente dédié à l’occasion pour la revente. Service et proximité garantis pour chaque étape de la vie du vélo, sans mobiliser de déplacement de celui-ci sur de longue distance. Rachat, revalorisation et revente locale. L’ensemble des acteurs du système est complémentaire de l’autre et vient apporter sa contribution pour que le mouvement vélo se mette en place.
Le hub vélo, lieux ressources pour les pros.
Quelle est donc cette étrangeté et pourquoi parler de cela au milieu d’un article sur les magasins de cycles? Quasi inexistant aujourd’hui (même si quelques projets sont en cours***) le hub vélo est pour moi le point de rassemblement des professionnels circulant essentiellement à vélo. Tout comme il y a une vingtaine d’années, le petit bouclard (magasin de cycle en ville) était un peu le café du coin où tous les adeptes de cyclisme se rassemblaient, le hub vélo serait son penchant pour les pros. A la fois atelier, centre d’auto-réparation, petit magasin d’accessoires, espace coworking. Le hub vélo serait là pour faciliter la vie des professionnels qui ont choisi le vélo pour remplacer leur véhicule carboné. Lieu de vie essentiel dédié aux pros qui a toute sa place dans notre cyclo-système, c’est un levier significatif si l’on souhaite également accompagner les professionnels dans leur report modal. Pour atteindre les 12% nous aurons largement besoin de l’effort des pros. L’offre dédiée aux professionnels mérite à elle seule un article bien plus complet, j’y reviendrai prochainement sur le site.
Pour résumer, les magasins de cycles doivent se réinventer, repenser complètement leur manière d’ouvrir des magasins, de vendre des vélos, de proposer du service. Le marché du vélo doit se débarrasser de l’héritage encombrant des magasins de cycles sport et loisirs. L’écosystème vélo doit complètement être repensé sur son mode de distribution, sur l’offre de service, sur la manière d’aborder les nouvelles pratiques liées à la mobilité, sur l’accessibilité des utilisateurs du quotidien. Il ne suffit pas de vendre des vélos pour rendre un pays accro au vélo, il faut revoir l’ensemble du cycle de vie de celui-ci, recréer de la proximité, du service, miser sur le reconditionnement, le prolongement de sa durée de vie avec pour finalité de rendre attractif la mobilité à vélo pour tous, particulier comme professionnel.
Cette réflexion amène son lot de nouvelles questions : est-ce vraiment aux vélocistes d’entamer cette mutation ? Les collectivités peuvent-elles apporter leur soutien ? La formation peut-elle accompagner ce mouvement ?
Je n’ai actuellement pas les réponses à ces questions, il est peut-être temps de commencer à y réfléchir… mais plus tard, j’ai mon vélo à réparer…
Sources
* notre-environnement.gouv.fr – 10 millions de vélos achetés en 5 ans pour 700000 utilisés au quotidien, où sont passés tous les autres ??
** Union Sport et Cycle. Sur 659000 vélos à assistance électrique vendus en 2021, 499000 sont dédiés à la mobilité.
*** Lieux ressources pour les pro