Au fil de mes déambulations sur les réseaux sociaux, il m’arrive régulièrement de tomber sur des annonces valorisant des modèles de vélo “Français”. Souvent accompagnés des termes “Made In France”, “fait en France” ou encore “fabrication française”, ce type de communication, pas franchement subtile insistant sur le caractère français du vélo, m’invite à me poser la question de la véritable signification d’un vélo français.
La relocalisation de la production de vélo sur notre territoire est une excellente démarche, j’en vantais même les mérites lors d’un précédent article. Ce qui me gêne dans la communication de certaines de ces marques “de vélo Français”, c’est le caractère potentiellement trompeur que cela génère aux yeux du consommateur, mais aussi de l’ambiguïté que cela peut engendrer vis-à-vis des fabricants et artisans ayant réellement fait une démarche de production française ou Européenne. Les termes “Made in France” ou “Fabriqué en France” ont un caractère officiel et ne doivent pas être utilisés à la légère, sans mise en contexte. Qu’est ce qui est véritablement “français” sur ces vélos de “fabrication française” : Le cadre ? Les composants ? L’assemblage ? Est ce qu’un drapeau français auréolé d’un sobre “Fait en france” ne serait-il pas une pure tromperie ? Le vélo français existe t-il réellement ?
Dans cet article nous allons tenter d’éclaircir ce sujet en nous intéressant à ce qui constitue la base même d’un vélo, à savoir ses composants. Ensuite nous identifierons les certifications officielles censées nous éclairer sur l’origine de production des produits de consommation, et leurs cahiers des charges . Dans un troisième temps nous partirons à la recherche des signes trompeurs, utilisés sans scrupules par certaines marques, pour nous laisser penser que leur vélo est français.
Partons à la recherche du vélo français.
La construction d’un vélo
Pour commencer, il est important de comprendre de quoi est fait un vélo. Un vélo moderne, de type vélo de ville, est un assemblage d’environ une soixantaine de composants (jante, rayon, poignées, dérailleurs,…). Certains de ces composants comportent eux mêmes des sous composants. Par exemple une poignée de guidon vissé (Grips Lock-on) est composé d’une partie en caoutchouc, pour le confort des mains, d’une partie en plastique en contact avec le guidon, de deux bagues de serrage, ainsi que de deux vis de serrage, cela nous fait un total de six sous composant et quatre matières différentes (caoutchouc, plastique dur, aluminium et acier) rien que pour une seule poignée. Si l’on détaille chacun des composants de cette manière, nous nous retrouvons avec quelque chose comme deux cent pièces différentes à réunir pour la fabrication d’un vélo. Sans parler de l’ensemble moteur – batterie qui comporte lui-même une centaine de pièces. La majorité des marques n’ont évidemment pas les capacités techniques et financières pour internaliser la production de ces deux cent pièces, de forme, de taille et de matières bien différentes. Elles font appel à de la sous-traitance.
Cela incombe aux approvisionneurs (en lien avec les ingénieurs ayant conçu le vélo) de définir le cahier des charges répertoriant la totalité des pièces nécessaires à l’assemblage du vélo pour enfin partir à la recherche de fournisseurs… du monde entier.
Shimano, par exemple, qui produit système de freinage et autre dérailleur est une entité japonaise produisant ses pièces, au Japon, en Malaisie ou encore en Chine.
Pour le cadre, composé d’un assemblage de tubes métalliques, il en est “majoritairement” (nous allons y revenir) de même. Alors même que la France possède le savoir-faire technique pour la construction des cadres de vélo depuis le début du XXieme siècle, nous avons fait sciemment le choix entre les années 80 et 90 de sous traiter majoritairement la pièce maîtresse de nos vélos dans les pays asiatiques tels que Taïwan ou la Chine (que cela soit pour les cadres en aluminium, acier ou bien bien encore en carbone) pour des questions de coût de production majoritairement.
Depuis une trentaine d’années, nos vélos sont donc fabriqués de manière “décomposés” dans les pays asiatiques, via divers fournisseurs spécialisés dans leur domaine, puis expédiés en pièces détachées chez la marque commanditaire (si elle possède un usine) ou bien vers des usines spécialisé dans l’assemblages, situés principalement en Asie, mais également en Europe et en France .
La première chose à retenir est qu’un vélo est, avant tout, un assemblage de pièces provenant du monde entier. La marque achète des pièces puis organise l’assemblage.
L’assemblage peut être effectué dans l’usine de la marque directement.
L’assemblage peut aussi être sous-traité chez un assembleur (Une usine qui assemble les vélos pour plusieurs marques). Cette usine peut-être située en France comme par exemple La Manufacture Française du Cycle, ou bien ailleurs dans le monde.
La pièce maîtresse, le cadre
L’élément le plus important dans l’assemblage d’un vélo est bien entendu le cadre. Devant répondre à des critères de confort, stabilité, solidité et agrément de conduite, celui-ci requiert la majorité des attentions de la part de ses concepteurs.
Lors de l’étape de sélection du cadre, la marque à le choix entre deux options. Embaucher des ingénieurs pour concevoir la géométrie selon un cahier des charges précis, ou bien, acheter des cadres tout prêts sur catalogue asiatique. Les deux cas de figure existent, même pour des vélos estampillés “fait en france”.
Dans le cas d’une conception du cadre en interne, réalisée par les ingénieurs produits, il en ressort un cadre original, s’inscrivant généralement dans l’identité visuelle de la marque (prenez deux modèles de vélo Moustache, le lien de parenté est frappant). Un cadre “catalogue” sera quant à lui assez commun, sans partie pris esthétique ni grande recherche structurelle, pour améliorer le confort par exemple. Vient ensuite la phase d’industrialisation. Comme dit plus haut, les marques de vélo (toutes confondus), ont largement délocalisé cette partie dans les pays asiatiques. C’est donc naturellement vers ces pays que les marques françaises se tournent pour réaliser la fabrication des cadres et cela même lorsqu’elles ont participé à la conception.
Pour autant, notre savoir-faire n’est pas totalement perdu. Des marques bien implantées mais aussi de nouvelles marques, œuvrant pour la plupart dans le secteur de la cyclo-mobilité et la cyclo-mobilité professionnelle, ont fait le pari de relocaliser la production des cadres sur notre territoire. Gagnant ainsi en réactivité (notamment vis à vis des délais de livraison), en souplesse industrielle (il est plus simple de suivre les retours d’utilisateur pour améliorer un produit quand celui-ci est fabriqué localement) et apportant des avantages certains sur le contrôle de la qualité.
Étonnement ce sont ces marques, celles qui conçoivent, produisent, et assemblent sur notre territoire, qui utilisent le moins les éléments de langage tels que “vélo français” ou “made in France”, et se contente souvent de quelque ligne de texte pour préciser que le cadre et l’assemblage sont effectués en France.
Voici ce que l’on peut trouver chez Douze Cycles concernant leur modèle Hêta conçu, produit et assemblé en France : “Le modèle Hêta est le premier né de l’ambitieux “Projet H” dont l’objectif est clair : concevoir, produire et assembler à grande échelle et en France, le premier biporteur éco-conçu”.
Cette information nous apporte du contexte sur l’engagement de Douze cycles pour l’éco conception de vélo et la localité de leur production de cadre, sans nous forcer la main sur une croyance imaginaire du vélo 100% français. Rendez-vous ici pour en savoir plus.
Deuxième élément à retenir, nous avons quatre types de marques de vélo.
- Les marques catalogues qui achètent les composants (y compris le cadre) pour les faire assembler en France ou ailleurs dans le monde.
- Les concepteurs non assembleurs : Qui conçoivent leur cadre en interne, mais externalise l’ensemble de la production et de l’assemblage.
- Les concepteurs – assembleurs : Qui conçoivent leur cadre en interne, mais externalisent leur production en France ou ailleurs dans le monde. Ils effectuent ensuite l’assemblage dans leur propres usines.
- Les concepteurs – fabricants – assembleurs, qui conçoivent et fabriquent eux même leur cadre en France puis assemblent les vélos en France sur leur propre ligne d’assemblage. Cette catégorie concerne surtout de petites marques artisanales, proposant du vélo sur mesure ou à la carte.
Cette première étape dans la recherche de notre vélo français, ne nous facilite clairement pas la tâche, nous avons bien des marques françaises, mais qui peuvent être des assembleurs, des concepteurs, des fabricants ou de simple marques “catalogues”, avec qui plus est, des manières de communiquer diamétralement opposé.
Afin d’y voir un peu plus clair, allons voir du côté des certifications.
Les certifications
En France, nous avons deux appellations nous permettant d’identifier les produits fabriqués majoritairement en France. Ces appellations ne concernent pas que le monde du vélo et vous pouvez les retrouver sur d’autres produits comme le textile.
Nous pouvez croiser l’appellation Made in France / Fabriqué en France délivré par la direction générale des douanes, mais aussi la certification Origine France Garantie délivrée par l’association éponyme.
Tous les autres termes utilisés tels que, fait en france, assemblé en france, conçu en france, n’ont aucun caractère officiel et ne sont que des éléments de langage purement marketing.
Pour ce qui est des critères d’attributions plusieurs méthodes s’appliquent. Pour le Made in France voici les 2 critères : Le produit doit :
- Tirer une part significative de sa valeur d’une ou plusieurs étapes de fabrication localisées en France
- Avoir subi sa dernière transformation substantielle en France
Ces critères impliquent donc de se fournir en pièces détachées en partie sur le sol français ou bien de procéder à la dernière étape de fabrication, dans notre cas l’assemblage, dans une usine située en France.
Pour ce qui est du label Origine France Garantie, voici les 2 critères:
Au moins 50% du prix de revient unitaire du produit est acquis en France.
Les caractéristiques essentielles du produit sont acquises en France.
De ce côté-ci il n’est plus question de transformation, mais bien d’acquisition sur le territoire français des éléments essentiels constituant le vélo. En plus de concevoir et fabriquer leur cadre en France, les marques doivent également regrouper un maximum de composants produits sur notre territoire et cela n’est pas une mince affaire.
Vous pouvez aller voir sur l’annuaire de l’association, il n’y a que trois marques françaises de vélo possédant l’appellation Origine France Garantie qui sont Ultima Mobilité, Ymagine, et Radior.
Voici notre troisième élément à retenir. Nous avons en France deux appellations, nous permettant de nous y retrouver dans notre recherche du “vélo français”. La première “Made in France” nous laisse à penser que l’assemblage final est effectué en France, mais rien ne nous indique que les composants sont bel et bien d’origine française, cadre compris.
Je précise tout de même que des marques possédant l’appellation “Made in France” produisent effectivement une grande partie de leur vélo sur notre territoire. C’est la cas par exemple de VUF qui produit ses propres cadres et effectue l’assemblage en France
Voici ce qu’il est noté sur leur site : Nos vélos électriques utilitaires sont conçus et fabriqués en France : nous maîtrisons l’ensemble de la chaîne de production et d’assemblage. Nos triporteurs ont obtenu l’IMF (Information sur le Made in France) délivrée par la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Ce marquage atteste de l’origine française des composants de nos triporteurs et témoigne de notre engagement en faveur d’une production locale, bleu blanc rouge.
La deuxième appellation, “Origine France Garantie”, nous certifie que l’essentiel de la fabrication du vélo est effectué sur le sol français et notamment la pièce maîtresse, le cadre. Pour ce qui est du reste des composants difficile à dire, est-ce 50% de la valeur du vélo produit en France, 70%, 80% ?
Il y a bien des marques qui répondent à cette interrogation est étrangement elles n’affichent aucune des deux appellations citées ci dessus. Par exemple Galian Cycles. Il faut chercher un peu mais il est noté que ”86% de la valeur du Formidable (c’est le modèle) est fabriqué en France”, ou encore les vélos Cavale : 80% de la valeur des vélos est fabriqué en France. Cavale ne se limite pas à l’assemblage en France.
Comment démêler tout cela ?
Des marques qui ne fabriquent rien, des marques qui conçoivent d’autres qui assemble, une communication ambiguë, une appellation “Made in France” pas forcément très explisite et une certification Origine France garantie qui ne concerne que trois vélos. Les vélo français se montrent régulièrement mais ne sont pas évident à débusquer alors comment s’y retrouver ?
Premièrement les marques ayant un véritable engagement envers la fabrication française communiquent de manières subtiles. Le plus souvent via un petit encart sur leur site internet. Ces marques se montrent pédagogue et expliquent le plus souvent leur démarche, leur engagement et la provenance de leur composants. Elle n’essaye pas de sur-vendre leurs produits via des appellations biaisées. Étant consciente que malgré tout leur effort pour relocaliser un maximum de leur production localement, il n’est actuellement pas possible de produire un vélo 100% français. Ces entités nous montre la voie sur la démarche à suivre pour promouvoir notre savoir faire sans décrédibilisé la volonté de l’industrie de mettre sur roue un vélo de plus en plus “made in France”
Deuxièmement, les marques affichant un drapeau tricolore dès leur page d’accueil suivi d’éléments de langage tels que “vélo français”, “fabrication française”, “vélo made in France” sont malheureusement bien souvent celles qui sont le moins engagées dans une véritable approche du “made in France”. Ces marques “catalogues” n’ont pour seul argument commercial que leur assemblage français, mais ne sont absolument pas claires sur la provenance des composants et les engagements en faveur d’une économie locale, jouant sur la crédulité des consommateurs pour faire passer la pilule. Malheureusement ce type de communication peut provoquer de l’incompréhension voire de la méfiance envers des produits plus onéreux mais dont la production locale et artisanale est bien plus concrète et vertueuse.
Nous pouvons par exemple trouver ce type de texte sur le site d’une marque française : “Les vélos à assistance électrique français S**** sont équipés des technologies les plus abouties et les plus performantes du marché. Dessinés, conçus et assemblés en France,…” Comprenez : Les composants sont importés d’Asie pour être assemblés en France. Pouvons nous vraiment parlé de vélo électrique français ?
Le vélo français m’a tout à fait l’air d’être une chimère, poursuivi par des marques en manque d’arguments sérieux pour différencier leur vélo, se glissant ainsi dans l’ambiguïté que génère toute ces appellations pour essayer d’exister.
Conclusion
Plutôt que de véhiculer un message ambigu et trompeur, pourquoi ne pas faire le choix de la transparence ?
A l’instar de certaines marques de vêtements comme LOOM qui est complètement honnête dans sa démarche concernant l’origine de leur produit (Le portugal pour être précis) et prend la peine de m’expliquer pourquoi. Au final si le produits n’est pas 100% français est-ce bien grave du moment que l’on ne prend pas le consommateur pour un idiot. Du moment qu’on m’explique la démarche et les raison de cela.
Pour revenir au monde du vélo, prenons l’exemple de Jean Fourche (oui oui c’est une marque de vélo). Un rapide coup d’œil sur leur site nous inonde de transparence. Pas de drapeau tricolore, pas de “made in france” tape à l’oeil. Uniquement de la transparence : je site “ Nous produisons un vélo à plus de 85% français et européen. Nos vélos sont pensés et conçus à Bordeaux, fabriqués au Portugal, puis peints et assemblés à Bordeaux, à partir de composants sélectionnés pour leur durabilité et leur provenance.”
Dans cet exemple, personne ne joue sur les mots, le made in france n’est pas un argument vitrine. Les arguments sont ailleurs, la marque à une démarche claire, sans ambiguïté et en bonus la fabrication est majoritairement européenne.
Il en est de même pour Infine Cycles : nos éditions limitées sont fabriquées en France dans notre atelier à Nice. Pour être plus compétitifs, nos modèles de série sont fabriqués en Europe, toujours avec la même qualité et le même soin du détail.
Plutôt que d’autoriser certaines marques à afficher une fabrication française de composants mondialisés, pourquoi ne pas les inviter à communiquer davantage sur la provenance de ces composants, histoire de les responsabiliser un tant soit peu ? A quand un cartographie du vélo pour qu’enfin le consommateur soit au courant de ce qu’il achète, de la provenance des composants et de la pression que cela génère sur notre environnement ?
Pour ce qui est de la transparence, je vous invite à lire le rapport de responsabilité de la marque Riese & Müller (marque d’origine Allemande), c’est pour moi une référence en la matière.
Au final avons nous trouver notre vélo français ? Même si les efforts de l’industrie ainsi que quelques marque pionnières en la matière nous rapproche peu à peu de cet objectif, en l’état actuel des choses nous avons seulement trouvé un vélo mondialisé.
Pour approfondir le sujet :
Rapport de responsabilité Riese & Müller
La vallée du vélo au Portugal : un exemple de réindustrialisation • FRANCE 24
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