Voila 2023 vient de céder sa place à 2024, dans une ambiance un peu étrange. Avec un marché aux apparences moribondes, rythmé par une succession d’offres promotionnelles visibles en magasin ou sur internet et cadencé par un fil d’actualité faisant la promotion de la descente aux enfers du cycle. Que se passe t’il avec le vélo? Le vélo est-il en train de se dégonfler ? N’est ce pas juste le signe d’une mutation amorcée et fondamentalement nécessaire ?
Spoiler Alert : En fait, ça va plutôt bien.
La première inquiétude concernant le marché du cycle est arrivée dès le printemps, au mois de mai. Avec un démarrage de la saison en demi-teinte et une fréquentation en magasin pas vraiment dans les normes.
Il faut savoir que dans le milieu du cycle traditionnel, je parle ici des enseignes de vente physique ayant une gamme loisir et sportif, le mois de mai est le plus gros mois de la saison. L’hiver a permis d’assainir son stock, la saison peut commencer tranquillement avec l’arrivée des nouveautés sur février et mars. Sauf que l’hiver 2022 – 2023 plutôt calme, n’a pas permis l’assainissement total des stocks. Et les nouveautés, elles, sont déjà là. La saison printanière n’ayant jamais vraiment démarré, les magasins ont mécaniquement fini par se retrouver en surstock.
Ce phénomène de surstock a été accentué par des projections largement surestimées de la part des détaillants et des fabricants. Depuis 2013, le marché du cycle subit une lente décrue en terme de volume (c’est-à-dire le nombre de vélos vendus chaque année en France), dans un même temps, le prix moyen des vélos lors du passage en caisse augmente fortement, poussé notamment, par l’accélération du vélo à assistance électrique. Le marché était donc plutôt équilibré avec des volumes de ventes stables d’une année à l’autre et une marge confortable. Puis vint la covid. Le vélo devient, en 2019 l’arme parfaite de la distanciation. Provoquant alors une grosse demande, de la croissance, beaucoup de croissance (+ 25 % en valeur par exemple pour 2020) puis une pénurie; plus de vélos. Par peur du manque ou appât du gain, les distributeurs et les marques ont donc ouvert les vannes. Anticipant une croissance à deux chiffres pour les années 2021, 2022 puis 2023. Sans prendre en compte la réalité d’une lente décrue initiée depuis 2013 et donc un probable retour rapide à une certaine normalité.
Malheureusement 2023 a été l’année du plateau et du retour à la normale. Un retour violent à la réalité calé sur les tendances antérieures à 2020. Les magasins sont pleins, les marques de vélo aussi. Le taux d’équipement des familles est élevé, les prix des vélos augmentent. Les préoccupations sont autres.
Les clients se font plus rares en magasin, et surtout, ils ont du choix.
Pendant les 3 années qui ont suivi la covid, vendre des vélos n’a jamais été aussi simple. C’est bien là le problème. Le client entre, choisit le vélo disponible et sort avec. Le conseil est optionnel. 2023 a pris tout le monde de court! Le client a le choix, les stocks sont pleins. Or, ce n’est pas un vélo qu’il ou elle cherche mais un conseil, une solution. Malheureusement les enseignes ne l’ont pas anticipé. Elles ont oublié qu’il fallait apporter du conseil, de l’écoute, de l’empathie, de la solution. Attentiste et peu enclin à se remettre en question. Focalisées sur les performances de leur analyse ou bien l’analyse de leur performance au choix, c’est vous qui voyez.
Viennent alors les mesures d’urgence. Remises, promotions, primes, vous n’avez pas pu passer à côté, tant elles ont rythmé la deuxième moitié de l’année 2023. Suite à un ralentissement indiscutable des ventes (ou simplement un retour à la normale en fait), les mesures d’urgence ont commencé à fleurir partout. Les mesures d’urgence ne sont pas souhaitables. Elles créent un déséquilibre. Trouver des vélos neufs aux prix du reconditionné, cela met en difficulté un écosystème tout juste amorcé. Les promotions ont créé une guerre malsaine entre les enseignes. Une partie de la gamme a été cannibalisée. Certaines marques fragiles financièrement se sont simplement effondrées (il y a d’autres raisons expliquant la mise en sommeil de certaines marques de vélo, mais la guerre des prix en fait partie). L’image, si chère à certaines enseignes, en a, quant à elle, pris un coup.
Ce type de mesures pour un conseiller ou une conseillère, n’est pas très bon; Fini la recherche de besoins, fini l’argumentation. Reste juste un prix face à un autre prix. Pour le moral et la motivation, on a connu mieux. Nous sommes passés sans transition de : “le vélo se vend tout seul” à “je vends un simple prix”. Ce type de mesure est délétère pour le marché du cycle. Les conséquences sur le service sont désastreuses. Cela règle un problème immédiat, mais ne participe pas à une remise en question profonde.
Mais alors il va bien le vélo ou pas ?
En fait, le vélo se porte bien. Nous sommes juste en pleine transition. Une transition entre deux mondes. Entre deux types d’usage. Un rééquilibrage du mode de distribution, une nouvelle approche du service. Le vélo de loisir face au vélo comme mode de déplacement. Tout comme le VAE porté par le VTTAE, avait entraîné un pic en 2013 suivi d’une stabilisation et d’une décrue. Le marché subit une nouvelle mutation avec la cyclo-mobilité comme moteur et le vélo cargo comme carburant. Alors que le vélo loisirs atteint son plateau, voir son déclin. Le vélo utilitaire amorce sa croissance, avec un dynamisme sans précédent.
Le monde du vélo doit donc muter en profondeur, et cette mutation vient de là où on ne l’attendait pas. Ce sont les acteurs de la cyclo-mobilité eux même qui s’organisent pour pallier aux manques en termes d’écoute et de services des vélocistes traditionnels. Ce sont les cyclo-logisticiens* qui développent des solutions de transport innovantes. Un mode de distribution hybride. Ce sont les professionnels à vélos, les artisans de la cyclo-mobilité, qui s’organisent en projet commun en faveur des déplacements doux**. Ce sont les anonymes, cyclistes du quotidien, qui décident de donner du sens à leur carrières en participant à un mouvement ultra dynamique, créant par exemple des ateliers de service de proximité ou encore des associations***.
Le cycle n’est pas aux abois****, il est en ébullition de part la richesse de ses acteurs.
Forcément cette transition entraîne de la prise de risque, de l’innovation, de la nouveauté et donc de la casse. L’état de santé du cycle ne doit pas être caractérisé et analysé que par des chiffres de vente (chiffres qui souvent oublient l’occasion, le reconditionnement), ou par des stocks en magasin.
Nous sommes dans une dynamique qui va au-delà de la fabrication et la distribution. Nous ne sommes plus dans le tout sportif et pas encore totalement dans la cyclo-mobilité. Cet entre-deux, provoque la collision de deux mondes entre immobilisme du secteur traditionnel et ultra dynamisme des acteurs de la cyclo-mobilité. Ce nouveau paradigme ouvre de nouvelles voies d’exploration ou encore des marchés à consolider. A nous de voir ce que nous voulons en faire ? Coopérer ou subir l’arrivée d’un nouvel acteur, gourmand, puissant, aux ressources illimités? Le secteur de l’automobile.
Quelques idées de recherche ou de lecture :
https://fr.statista.com/statistiques/506798/valeur-ventes-velos-france/
https://fr.statista.com/statistiques/506789/nombre-velos-vendus-en-france/
* https://www.toutenvelo.fr/ – https://bigbikesconsulting.com/
** https://lesboitesavelo.org/cyclocargologie/
*** https://actu.fr/bourgogne-franche-comte/champagnole_39097/champagnole-a-bicyclette-une-nouvelle-association-pour-discuter-du-quotidien-a-velo_59927296.html : ce n’est qu’un exemple, il en existe tant d’autres.
**** https://www.lequipe.fr/Velo-mag/Tendance/Actualites/Marche-du-cycle-en-france-un-marche-aux-abois/1398719